Plus de Webinaires ...

Inscrivez-vous à la Newsletter pour ne rater aucun webinaire !

S'inscrire à la Newsletter

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit, sed do eiusmod tempor incididunt ut labore et dolore magna aliqua. Ut enim ad minim veniam, quis nostrud exercitation

Contact
News

Déménager Miquelon : Echange avec Laurent Pinon sur une démarche inédite face au risque climatique

Article réalisé dans le cadre de notre newsletter Perspectives Territoriales.

 

La montée des eaux et les tempêtes frappent de plus en plus violement l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, au sud de Terre-Neuve. Une fois passée la prise de conscience du risque, l’idée d’un déménagement progressif de tout le village s’est finalement imposée comme la seule solution acceptable. Les 600 habitants de la commune de Miquelon-Langlade s’apprêtent à devenir les premiers réfugiés climatiques de France.

Comment en est-on arrivé là ? Comment faire face et avancer dans l’incertitude ?

Dans cet entretien, Laurent Pinon, architecte-urbaniste directeur de l’agence Métamorphoses Urbaines qui accompagne le projet de Miquelon depuis 2022, nous éclaire sur les enjeux et la méthode d’une démarche inédite.

 

Julhiet Sterwen : Dans quel contexte êtes-vous vous êtes intervenu à Miquelon ? Par quelles étapes le projet a-t-il cheminé ?

Laurent Pinon : Le récit de Miquelon commence par une prise de conscience du risque. Elle a été formalisée en 2018 par un Plan de Prévention des Risques Littoraux, un document réglementaire qui a permis de caractériser l’aléa. Contraignant très fortement toute nouvelle construction, il a été vécu comme un choc par les habitants. Ils se sont spontanément mobilisés pour affirmer leur attachement à l’île, revendiquant que « l’avenir est ici » : toujours sur l’île, mais sur un site éloigné de 1,5 km du village actuel et situé à une altitude qui le préserve des aléas.

Le passage de la tempête Fiona en 2022 a accéléré les réflexions. La nouvelle équipe municipale s’est saisie de l’opportunité de bénéficier d’un Atelier des territoires pour chercher des solutions. Et c’est à partir de ce moment que le groupement piloté par mon agence, Métamorphoses Urbaines, est arrivé dans la démarche.

La question posé par la collectivité était très ouverte : « Quelle stratégie de déploiement urbain pour le village de Miquelon ? ». Nous avons fait le choix d’une réponse sans croquis, sans schéma, sans hypothèse… avec comme fondement l’envie de construire avec les habitants ce projet atypique. L’Atelier s’est déroulé autour de quatre résidences d’une semaine sur place, trois séances de travail (diagnostic, stratégie, plan d’actions) et un temps de restitution pour se projeter vers la suite.

 

Julhiet Sterwen : Quelle a été la mobilisation des habitants pendant ces résidences ?

Laurent Pinon : Nous avons mis en place des permanences pour écouter les habitants dans un cadre formel de réunion publique ou atelier. Nous avons également proposé des situations plus informelles, via du porte-à-porte ou des rencontres impromptues. La réflexion autour du nouveau village a réuni une cinquantaine de volontaires, assidus ou occasionnels. Nous avons tenu à associer tout le monde, y compris les enfants grâce à un projet scolaire.

Les échanges se sont faits dans une transparence totale et sans aucune censure, avec la conviction que tout peut être discuté et mis en débat. C’est une conviction forte de Métamorphoses Urbaines et l’un des piliers de la démarche à Miquelon.

 

 

Julhiet Sterwen : Comment avez-vous réfléchi et travaillé le projet avec les habitants ?

Laurent Pinon : La stratégie s’est construite à travers une maïeutique qui explore tous les possibles pour écarter progressivement certaines options. Les habitants refusant un départ de l’île, nous avons d’abord creusé l’hypothèse d’une adaptation à l’aléa. Celle-ci ayant montré ses limites, le déplacement progressif du village vers le site préservé et pré-identifié est finalement devenu l’hypothèse la plus probable.

Le projet est prévu pour durer 75 ans si nécessaire. Cette durée symbolique doit permettre à une personne ayant 20 ans en 2022 de rester dans l’ancien village jusqu’à la fin de sa vie. Hors événement climatique majeur, personne n’est contraint de partir.

 

 

Tout au long de l’Atelier, l’équipe a mis en récit, éclairé et prolongé les réflexions des élus et habitants. Chaque atelier nourrissait le suivant. Les habitants nous posaient des questions, de la plus quotidienne à la plus stratégique, auxquelles nous nous engagions à répondre lors de la résidence suivante. Ce processus, assez unique, est lié au fait d’avoir accepté l’incertitude et de chercher à lever les doutes ensemble.

En parallèle, le réalisateur Christophe Raylat associé à notre groupement a suivi chaque résidence et produit une série de courts-métrages qui retracent les discussions et décisions prises. Les films ont servi d’introduction aux réunions publiques et ont également permis de partager l’avancée du projet avec ceux qui ne pouvaient être présents, notamment les services de l’État.

 

Julhiet Sterwen : Quel a été l’aboutissement de l’Atelier des territoires ?

Laurent Pinon : Il nous semblait essentiel que le résultat ne soit pas la production d’un rapport technique. Nous avons donc rédigé une charte d’engagement dans le processus de relocalisation du village, signée par les commanditaires : le maire de Miquelon-Langlade, le président de Collectivité Territoriale de Saint-Pierre et Miquelon et le préfet. Ce document a formalisé la volonté des élus et habitants auprès des services de l’Etat et permis d’enclencher les étapes suivantes, via le lancement d’un accord-cadre de maîtrise d’œuvre urbaine, paysagère, architecturale et sociale.

 

Julhiet Sterwen : La démarche de déménagement du village est à présent engagée via cet accord-cadre de maîtrise d’œuvre. Retrouve-t-elle désormais une méthode plus classique ou fait-elle encore un pas de côté ?

Laurent Pinon : Elle reste atypique à plusieurs égards. D’abord par son rythme soutenu : les premières fondations des maisons des ménages pionniers ont été posées en août 2025, moins de trois ans après le début de l’Atelier des territoires. Ensuite par l’inventivité nécessaire : l’aménagement est réalisé en régie par la commune, sans aménageur ou foncière.

Les missions de l’accord-cadre sont classiques mais elles ont la spécificité de se dérouler en parallèle. Par exemple, la construction des premières maisons « pionnières » démarre en même temps que la révision des documents d’urbanisme. Nous devons cranter des avancées avec des propositions et des choix concrets, tout en acceptant itérations et ajustements tant que les documents ne sont pas validés.

Cette approche correspond à une vision renouvelée de la fabrique de la ville. La méthode est agile, comme en informatique : considérer que tout peut être remis en cause, aller vite sur les points de consensus, garder pour plus tard ceux qui font débat, toujours avoir un projet le plus abouti possible sous les yeux.

 

 

Julhiet Sterwen : A propos de visualisation du projet, quels outils utilisez-vous pour le rendre concret ?

Laurent Pinon : Nous travaillons avec une maquette 3D numérique qui permet de visualiser volumes, vues et reliefs d’un point de vue technique. Volontairement, très peu d’images du nouveau village circulent car des incertitudes demeurent sur certains éléments clés tels que le devenir de l’église, la future centralité…. La maquette reste indicative et les fondements du projet reposent surtout sur le cadre réglementaire en cours d’élaboration. L’enjeu consiste à trouver le juste équilibre entre une conception suffisamment précise pour engager financements et travaux, et le fait de se laisser des marges de manœuvre à l’avenir.

 

 

Julhiet Sterwen : Dans quelle mesure peut-on dire que la démarche emprunte une approche de design (exploration, démarche collective, matérialisation de l’intangible…) ?

Laurent Pinon : Aux antipodes d’un projet classique, dans lequel le dessin permet de séduire, l’enjeu ici n’est pas de révéler la beauté du projet urbain. A Miquelon, les habitants sont eux-mêmes constructeurs de leur maison donc « sachants » et capables de se projeter. Nous nous interdisons donc de dessiner le projet pour le moment mais il le sera certainement a posteriori, pour le documenter en rétrospective.

L’approche « design » ne réside ici pas dans le dessin ou la dimension esthétique de la conception mais tient à l’approche collective du processus de projet. Notre posture consiste à collecter, consolider et structurer leurs propositions pour que le projet soit le reflet du récit porté par les habitants. Cela nous impose une grande humilité et nous place à la croisée des enjeux techniques, juridiques et sociétaux.

 

 

Julhiet Sterwen : Quelles seraient les conditions permettant de répliquer la démarche dans d’autres territoires ?

Laurent Pinon : Nous aimerions le faire de manière plus systématique et voyons deux enjeux pour que ce soit possible. Le premier levier consiste à accepter l’incertitude et à s’autoriser à faire projet malgré tout. Le second levier repose sur le fait de révéler des communautés d’acteurs, ayant choisi de vivre quelque part et prêtes à se mobiliser pour y rester. Nous rêvons de travailler avec des habitants, usagers, citoyens prêts à contribuer, pour que nos travaux fassent écho à leur implication et reflètent leurs envies profondes.

 

 

Laurent Pinon est architecte DPLG, urbaniste et diplômé en droit et économie immobiliers. Il dirige aujourd’hui Métamorphoses Urbaines, une agence d’urbanisme et de programmation qu’il a créée après avoir exercé à Alphaville. Il est co-auteur du livre « Territoires submergés » édité par Terre Urbaine en 2023.

L’agence Métamorphoses Urbaines déploie des démarches itératives propres à chaque territoire, intégrant une approche qualitative fondée sur le vivant (humain et non humain). En groupement avec Anne-Solange Muis, AZCA, BTP, et Christophe Raylat, l’agence a mené en 2022-2023 un Atelier des territoires, proposé par la DGALN, piloté par la Commune de Miquelon-Langlade, avec l’appui de la Collectivité Territoriale de Saint-Pierre et Miquelon et la DTAM. Cet atelier a permis d’esquisser la stratégie et de consolider le projet.

Le groupement (élargi avec Ingénierie des Îles, CEREG, PMAU, VEDESI) est désormais mandaté via un accord-cadre de maîtrise d’œuvre urbaine, paysagère, architecturale et sociale (2024-2026) pour accompagner la création du nouveau village et le début de la transition.